C’est pas grave. Retourner au même endroit, c’est parfois bien quand même. Cette jetée n’a pas bougé. Légèrement plus rouillée après deux ans. On dirait que les tempêtes d’Est ne lui font même pas mal.
Au pied du plus chouette petit restaurant de la terre, elle continue d’accueillir un ou deux bateaux par jour en pleine saison. C’est sur son dos que j’ai pris une bonne partie des photos qui ont inspiré ma série de 2014. L’eau est toujours aussi belle. On fait semblant d’hésiter à y retourner. Il faut reconnaître que l’on n’est pas mal, aussi. Là. Assis sur ces planches de bois blanchies au sel. Poncées en douceur par des années de pieds sablonneux venus débarquer un peu de poisson frais et des cageots de bière à mettre au frais. »
Savoir avancer dans les petits airs demande un peu de talent. Connivence avec les courants. Connaissance de sa monture. Comment remue-t-elle ses formes pour passer dans un reste de houle au ralenti ? A quel toucher de barre répond-t-elle ? Le spi se lâche, fier d’être moteur. La quille s’étire. C’est relâche. Verticale. Profil bas au portant.
Je ne sais plus exactement ce que les deux sauterelles regardaient. C’était au Nord des rochers de la pointe du Cob (si vous voulez savoir à quoi ce rocher ressemble, regardez la bande annonce du film Boomerang).
Je sais qu’elles attendaient leur grand-père qui rentrait très lentement d’une après-midi en mer dans son fameux canot Sterna. Thermique tombé. Gite forcée pour affuter le sillage et profiter des derniers souffles d’air. Une éternité pour parcourir les derniers miles. La plage est vide. Le soleil est plus bas, plus ambré, et plus chaux aussi depuis qu’il a largué le vent. Ca va aller : on peut attendre une éternité… jusqu’à l’heure de l’apéro.
Cette toile là est née un matin sur une plage déserte d’Amorgos, en Grèce. Un cliché pris depuis le bout d’une jetée fragile.
Les reflets puissants qui jouent avec la surface créent un contraste fort et imaginent ce vert émeraude dense sous lequel se faufile ma fille avant d’aller prendre son petit déjeuner. Pas même le temps d’être verni, le tableau « Under the Levrossos beach » était attrapé à la sortie de son bain via Facebook par une charmante collectionneuse en Floride. Autorisation de sortie in extremis pour être exposée à Neuilly et Gif-sur-Yvette avant de s’envoler au-dessus de l’Atlantique.
Moins d’un an plus tard, le directeur artistique de la revue 71% me demande les droits de cette image pour illustrer un numéro spécial Arts. J’aime bien le nom de cette revue. L’homme est un être d’eau(65%) qui vit sur une planète d’eau (71%). Les lecteurs de cette revue qui naviguent sur des unités de plus de 40 mètres ont leur manière bien à eux d’en profiter. Ils seront 10.000 à le feuilleter, en anglais ou en mandarin. Certains naviguent encore à la voile et offrent à des chantiers navals privilégiés l’occasion de réaliser des chefs d’œuvre insensés. Dans le monde de rêve qui s’ouvre entre les pages de ce magazine, c’est ceux qui m’inspirent le plus. Rêver sur l’eau, c’est toujours délicieux. Et en attendant de vous offrir un super yacht, vous pouvez commencer par feuilleter ce splendide magazine ici.
C’est comme cela chaque Printemps depuis 25 ans. A Pâques, on espère la nouvelle affiche des régates du Bois de la Chaise. Cet événement de yachting classique fait partie de l’île de Noirmoutier. L’île fait partie de ma vie. Les régates et leur affiche aussi.
Ces régates ressemblent à leur île. Depuis plus d’un siècle (1895), les yachtmen du Bois de la Chaise cohabitent l’été avec les marins locaux. Tout ce petit monde se croise à pied les jours de grande marée, un filet à la main. En vélo les jours de marché.
Et entre les bouées d’un parcours au large du fameux bois de chênes verts à mi Août. Spectacle équitable : aussi beau et joyeux pour les équipiers que pour les promeneurs. Les camaïeux d’ambre des vieux gréements font vibrer les bleus de ciel et de mer. Les silhouettes parfaites des coques à l’échouage hypnotisent les photographes. Trois jours de réjouissance bon enfant qui se terminent en banquet au pied du vieux château. C’est là que les équipages décoiffés aux embruns refont le match : les lancement de spi acrobatiques, les passages de bouée hasardeux, les remontées spectaculaires … Et le souvenir des chants d’Eric Tabarly à ces mêmes tablées enveloppe tout ce petit monde d’une réconfortante certitude : être entre marins aussi conviviaux qu’avertis. L’équipage de Pen Duick qui ne s’y trompe pas ne rate d’ailleurs jamais cette étape.
Depuis 1989, l’association La Chaloupe fait renaître les vieux gréements de prestige au travers de cette fête patrimoniale. Chaque année, elle commande une création à un peintre pour l’affiche de saison. La contribution de certains anciens (Paul Vincent Darasse) et contemporains (Morlaine) ont marqué cette collection et nourri mon inspiration. En 2014, pour fêter ses 25 ans, l’association fait appel à concours. J’en suis. Me régale sur un petit format carré de 50cm. Devine bien que le sujet ne correspond pas idéalement au brief. Ne suis pas retenu pour l’affiche… mais le tableau est exposé avec les autres sur la place d’Armes et fait la couverture d’Artistes magazine.
Décembre 2014, je suis en train de fêter avec des amis l’arrivée de Noël dans un très ancien bar du port d’Amsterdam quand Marie Bruley, Chargée de l’évènementiel pour l’île et administratrice de l’association, me contacte pour me proposer mon premier cadeau : l’affiche 2015. Après une revue de mes centaines de clichés sur les régates, je tombe sur une image faite par la talentueuse photographe Valérie Lanata. Pas mieux ! Quelques mois, de nombreux mails et des heures au chevalet plus tard, la toile est prête. Amsterdam-Rennes bien à l’abri dans une solide caisse en bois. L’essai est superbement transformé par un photographe breton et un imprimeur vendéen. Rarement vu une reproduction si fidèle de tableau.
Cette semaine, dans le bureau de l’Association, nous fêtions l’ouverture de cette saison 2015 et le lancement de l’affiche avec la presse. Chaleureuse bâtisse en bois posée sur le quai Sud du vieux port, baignée par une belle lumière d’Ouest. En écoutant le passionné président Christian Demur rappeler l’histoire des régates aux journalistes, j’ai eu deux pensées amusées. Pour mon père, qui a gagné ces régates dans la catégorie « petit canot à voile » en multi récidiviste jusqu’à ses 80 ans sur Sterna, un bateau fait de ses mains. Et pour un de mes fils qui a sans doute trouvé là un brin d’élan dans le choix de son métier : charpentier de marine.
Mon premier est une collectionneuse merveilleuse, mon deuxième est une toile magique, mon troisième est une photographe généreuse. Mon tout ci-dessous.
Tout commence au moment où c’est fini. La décision de ne plus rajouter de touche, de poser les pinceaux. Apposer la signature. S’interdire tout retour. Cette décision est pour moi une des 4 étapes clé qui font le tableau : le choix du sujet, le cadrage, le format … et le moment d’arrêter. Entre les deux, un chemin toujours incertain, aléatoire, intuitif.
Quand j’ai fini « Felicita », j’ai senti que désormais je trouverais ce chemin, quel que soit le sujet. Le format s’était imposé : plus de stock. Dernier petit châssis qui traînait au fond de mon atelier de Noirmoutier. J’avais envie de peindre ce sujet depuis longtemps. J’ai aimé le résultat. Décidé de garder cette toile pour moi puisqu’elle était une étape.
Quand Melissa m’a écrit depuis Calagary, c’était pour « Felicita »… En quelques mails, j’ai fait connaissance avec une surfeuse voyageuse. Aussi rapide sur ses coups de cœur que patiente avec mes coups de pinceaux. Une belle rencontre. Elle cherche une toile pour son refuge au pied des montagnes canadiennes. Pouvoir contempler le calme et la chaleur un peu sauvage des spots où elle surfe en Amérique du Sud pendant les soirées d’hiver sous la neige. « Felicita » est parfaite… mais interdite de sortie. S’en suivent donc des semaines à s’échanger des clichés. Une image nous met finalement tous les deux KO et d’accord. Une image forte. Melissa la veut en grand.
Quand j’ai écrit à Sarah, c’était pour Melissa. Sarah Lee est une de mes photographes préférées. Une hawaïenne surdouée. Qui travaille parfois avec un autre de mes photographes favoris, l’Australien Mark Tipple. Elle capte l’eau comme j’ai envie de la peindre. Je peux reconnaître ses clichés avant de lire sa signature. J’avais déjà fait quelques projets à partir de son travail. Je lui demande un permis de peindre. Avant de s’enfoncer dans la jungle de Bali, elle me dit que d’accord.
J’ai enfourché mon vélo pour aller acheter un châssis. Grand. Et un rouleau de toile. Long. Quelques semaines plus tard, un rouleau filait à l’indienne pour l’Alberta.
Il y a à peu près un an, Scarlett Johansson choisissait sa nouvelle piscine dans ce bel endroit. Amagansett. Près des plages de Montauk où j’adorais passer mes week-ends lors de mes années new-yorkaises. A la même époque, à quelques mètres de sa propriété, des voisins australiens passionnés de surf, de natation… et d’art contemporain me contactent.
Une belle conversation s’engage avec ces nostalgique de Bondi beach. Mon tableau « Where is the cliff » atterrit chez eux peu de temps après. Et c’est de cette conversation que naît l’idée de cette nouvelle toile. Variation autour de « Rouge ».
14 septembre 2013. Huitième manche de la 34ème America’s cup. Dans la baie de San Francisco, Etats-Unis, Team Emirates – New Zealand mène 8-0 contre Team Oracle USA. A une seule victoire de la coupe. Dans la baie de Christchurch, New-Zealand, Ping suis la régate en live. Spectacle hypnotisant.
Et puis moment foudroyant : un mécanisme hydraulique défectueux bloque la grand voile à contre lors d’un empannage. Team New Zealand manque de très peu le chavirage… Ping et 4,5 millions de kiwis retiennent leur souffle… leur équipe perd la régate. Elle ne rattrapera plus le team US. L’équipage américain remporte les huit manches suivantes. Et la coupe.
17 décembre 2013, je reçois ce message sur ma page facebook : « Bonjour, Je suis votre merveilleux travail depuis un certain temps maintenant . S’il vous plaît regardez cette vidéo Youtube , cette manche de la Coupe de l’America entre Team New Zealand et Team USA . Regardez en particulier entre les 25 et 35eme secondes du clip . Je ne sais pas s’il est possible pour vous de saisir le drame de notre catamaran presque chaviré, et en même temps de capturer le dynamisme et la fluidité de l’eau que vous avez si bien traités dans le passé . Quoi qu’il en soit , cela fait maintenant trois mois que je voyage en Europe. Dans deux semaines, je vais faire route vers la France . Avez-vous un atelier ? Je tiens à vous rendre visite et j’aimerais discuter avec vous de la possibilité de ce projet de tableau. A bientôt de toute façon. Ping «
10 janvier 2014, Ping me rend visite dans mon atelier parisien. 15 minutes passées autour du projet de tableau, une heure dans l’atelier, puis deux à table autour d’une passionnante dégustation de bons vins. Le reste de la journée à sympathiser définitivement.
Démarrée en mai, terminée en novembre. Bizarrement, j’ai mis une éternité à peindre sur cette toile ce qui s’est passé entre ces dix secondes. Ce demi mètre carré de coton file aujourd’hui d’Amsterdam pour la côte est de Nouvelle Zélande.
Sympathique petit mail de fin d’année de Rebecca Wilson, conservatrice de Saatchi art, « juste pour vous informer que votre tableau « Swell Sandra » était retenu dans le « best of » de 2014 de la galerie ». Il y a eu l’interview « Inside the Studio ». Puis plusieurs toiles sélectionnées dans quatre ou cinq collections mensuelles (comme celle constituée par Bridget Carron à l’occasion d’Art Basel Miami). Et voilà une carte de fin d’année qui donne de l’appétit pour 2015 !
Ce bain était tellement bon. On se sent tellement bien maintenant. Profiter de l’instant. Suivre les vagues. La tête dans les nuages, les pieds dans le sable. Chaud. Le regard perdu, loin, dans les partitions de bleus. Instant parfait. On ne sait plus exactement où l’on est. Mais ce goût du sel sur les lèvres : on sait que l’on vient de l’océan.