Fin d’après-midi. Le thermique s’est calmé. Les dériveurs et les annexes sont remontés sur la plage. Les cousins sur la dune, les uns après les autres. Décoiffés par la brise. Du sable plein les pieds, du sel plein les yeux. C’était une chouette journée! De celles qu’il faut ralentir et faire durer car elles comptent double dans le souvenir des vacances. Bientôt l’heure de rejoindre nos chaumières respectives pour la soirée. Faire traîner, profiter… S’asseoir par terre côté Sud à l’abri du vent sur la terrasse de granit et réchauffer son dos contre le mur de chaux . Mère grand est toujours dans les parages.

« Grand-mère Maud » 2016©AntoineRenault acrylic on canvas 70x50cm
Elle qui était si heureuse en mer n’a plus l’âge de naviguer. Elle suit dans la journée les voiles de chacun du haut de sa dune, dans le Noroît. Puis récolte les récits de chacun le soir côté Sud. La bande de lézards se retrouve pas loin de la porte de sa chambre. A l’entrée de cette caverne d’ombre parfumée de térébenthine, on refait le monde. La robe de grand-mère attrape les derniers rayons de soleil. L’air de ne pas y toucher, elle lance ces petites questions anodines qui permettent de jauger l’état des troupes, de recouper l’actualité de l’île et de la famille. La complexité des arabesques qu’elle dessine avec sa canne dans le sable est proportionnelle à celle que ses pensées traversent. Et elles se concluent souvent d’un « et t’en pense quoi, toi? » ponctuée d’un petit rictus souriant, mélange de bienveillance, de malice et de doute.
Quand j’ai démarré cette toile, je savais que je la garderais pour moi. Privilège d’une conversation en face à face. A chaque coup de pinceau j’essayais d’imaginer ce que disaient les arabesques en dessous du tableau, invisibles. Pour la première fois, cette sensation d’être observé par mon sujet pendant que je peignais. Des heures à modeler ce visage jusqu’à ce que le regard et chacune des petites rides, ensemble, finissent par composer cet imperceptible sourire, inquisiteur et protecteur.
« Depuis que je suis petit, j’ai une espèce de maladie: toutes les choses qui m’émerveillent s’en vont sans que ma mémoire les garde suffisamment » (JH Lartigue). Ses merveilles à lui sont souvent des moments. Je crois que j’ai cette même maladie. C’est peut-être pour ça que j’adore 

La chance sourit aux esprits préparés: En 1962, il a 100.000 clichés au compteur, mais se croît peintre. Lors d’une escale à NYC, une rencontre est organisée par un ami avec John Szarkowski, nouveau jeune conservateur du département photographie au MoMa, . Coup de foudre. En 1963, à 69 ans, il expose pour la première fois en tant que photographe… au MoMa!!! En novembre de la même année, Life magazine lui consacre un article de 10 pages dans le numéro… qui raconte l’assassinat de JFK à Dallas quelques jours plus tôt. Il avait rencontré le jeune sénateur Kennedy 10 ans plus tôt chez des amis à Antibes. Ce numéro fait le tour de la planète et installe sa notoriété mondiale.
C’est ici! Paradise beach. C’est son nom. Il y en a sur toutes les belles îles, je sais. Mais ici c’est différent: on est sur Amorgos. Au bout d’un chemin, dans l’axe du coucher de soleil. La transparence est au rendez-vous. Le soleil aussi. Les falaises ocre dense. L’eau vert sinople. En fin d’après-midi, on peut sauter au-dessus du soleil et frôler le paradis.
C’est un endroit béni des Dieux. A deux pas du Monastère de la Panaghia Chozoviotissa. L’un des deux plus anciens de Grèce. Mais c’est aussi au pied de Agia Anna (Sainte Anne). La plus belle chapelle d’Amorgos immortalisée par le film 

Grande chaleur. On se faufile entre les énormes paquebots du port. Dans ce port, la mer a déjà la couleur qu’il me faut. Les collines d’Athènes disparaissent dans le sillage. De longues heures à slalomer entre les îles pendant que le soleil descend. Amorgos est une île qui se mérite. Les plus belles demandent un peu de patience. Le temps de prendre son temps. Faire des photos. Dessiner. Prendre sa première ration de soleil grec en rêvant d’un endroit qui va réussir à nous émerveiller. Encore.



Au pied du plus chouette petit restaurant de la terre, elle continue d’accueillir un ou deux bateaux par jour en pleine saison. C’est sur son dos que j’ai pris une bonne partie des photos qui ont inspiré ma série de 2014. L’eau est toujours aussi belle. On fait semblant d’hésiter à y retourner. Il faut reconnaître que l’on n’est pas mal, aussi. Là. Assis sur ces planches de bois blanchies au sel. Poncées en douceur par des années de pieds sablonneux venus débarquer un peu de poisson frais et des cageots de bière à mettre au frais. »
Quand j’ai fini
Quand Melissa m’a écrit depuis Calagary, c’était pour « Felicita »… En quelques mails, j’ai fait connaissance avec une surfeuse voyageuse. Aussi rapide sur ses coups de cœur que patiente avec mes coups de pinceaux. Une belle rencontre. Elle cherche une toile pour son refuge au pied des montagnes canadiennes. Pouvoir contempler le calme et la chaleur un peu sauvage des spots où elle surfe en Amérique du Sud pendant les soirées d’hiver sous la neige. « Felicita » est parfaite… mais interdite de sortie. S’en suivent donc des semaines à s’échanger des clichés. Une image nous met finalement tous les deux KO et d’accord. Une image forte. Melissa la veut en grand.
Quand j’ai écrit à Sarah, c’était pour Melissa.